Diastocade – Diaspora Togolaise au Canada

Savoir oser pour sauver le Togo : Il faut abandonner le dialogue politique

Note aux lecteurs : Cet article défend la thèse suivante : le dialogue togolais a jusqu’ici échoué parce qu’il s’est toujours tenu entre deux minorités : la minorité qui s’est autoproclamée dirigeante du pays et gérante de ses institutions, et la minorité qui s’est autoproclamée porte-parole de la masse populaire. Pour réussir à sortir le Togo de l’impasse, le dialogue doit se dérouler entre la majorité des Togolais d’une part, et les deux minorités (dirigeante et opposante) d’autre part. La « méthode Mandela » peut aider.

« J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de la peur, mais la capacité à la vaincre ». Nelson Mandela

La guerre des tranchées. Voici ce qui en mon sens décrit mieux la situation politique et sociale actuelle du Togo. Et autant que l’on se rappelle, personne n’a remporté une guerre des tranchées. C’est aussi une situation qui ressemble, sous beaucoup d’aspects, à celle de l’Afrique du sud dans la période entre la libération de Nelson Mandela et les premières élections multipartites.

À l’époque, plus d’un observateur redoutaient une guerre civile entre la majorité noire et la minorité blanche, tant les ingrédients d’une déflagration sociopolitique étaient réunis. Il y avait d’un côté une minorité porteuse d’un régime qui lui a permis d’avoir toutes les richesses du pays entre ses mains de même que la plus puissante armée d’Afrique à sa disposition ; une minorité privilégiée qui, bien que décriée par les bien-pensants du monde, se réfugiait derrière la loi et l’ordre pour justifier le pire, prête à tout pour garder le trophée d’une guerre qu’elle a livrée à la majorité. De l’autre côté, une majorité vivant perpétuellement dans le déni du droit le plus élémentaire, totalement marginalisée et privée de tout ; une majorité, divisée entre les « collabo » du régime de l’apartheid et ceux qui combattaient ce régime depuis des lustres, déterminés à l’éradiquer jusque dans son dernier retranchement.

Ceux qui, à l’époque, avaient prédit une guerre civile en Afrique du Sud avaient raison. Mais l’histoire leur a donné tort. Ou plutôt un homme, Mandela, leur a donné tort. En quoi faisant ? En invitant ses compatriotes à un dépassement et en trouvant dans chaque camp (le sien et celui adverse) des hommes et des femmes capables de porter une vision tout à fait différente de la société sud-africaine dans l’après-apartheid. Mandela aurait pu privilégier la majorité, « sa majorité » et rien ne l’en aurait empêché. Après tout c’est ce que font les hommes politiques. Mais il a préféré montrer à la minorité qui avait fait tant de mal à son pays qu’elle aussi avait une place dans l’avenir du pays. Ce n’était pas tâche facile compte tenu de la volonté de vengeance qui animait beaucoup au sein de la majorité, et la peur de rétribution et la méfiance qui avaient cours au sein de la minorité. Mais il avait évité la guerre, l’inutile guerre, à son pays.

Un quart de siècle plus tard, par la volonté de ses dirigeants (une minorité) et les turpitudes de sa classe politique (une autre minorité qui se présente comme le porte-parole de la majorité), le Togo se retrouve aujourd’hui dans un scénario qui n’est pas bien loin de celui décrit plus haut. Bien sûr qu’en Afrique du sud la minorité avait la peau blanche et la majorité avait la peau noire. Mais au Togo où tout le monde a la peau noire, le parallèle avec l’Afrique du Sud d’alors n’est pas trop osé. Le seul élément qui manque dans le cas du Togo, c’est une figure comme celle de Mandela : il n’y en a ni parmi les exilés ni parmi les ex-prisonniers (pour mieux établir le parallèle). Mais l’absence d’une telle figure est une opportunité dans la mesure où la méthode Mandela étant bien connue, il ne reste que son appropriation et son adaptation. Pas par un individu – qui pourrait s’y perdre ou la monnayer – mais par la masse populaire.

Aujourd’hui, la majorité des Togolais sait un peu mieux pourquoi la classe politique peine tant à défaire la minorité. Aujourd’hui, la majorité des Togolais est consciente du fait que beaucoup au sein de la classe politique ne voient pas « en tout temps » un adversaire en la minorité dont les agissements sont un danger existentiel pour le Togo. L’appropriation de la méthode Mandela – par la masse – a mieux de chances de sortir le pays de sa dangereuse impasse que ne sauraient le faire les dialogues politiques et toutes les révolutions scandées çà et là. En réalité, cette appropriation de la méthode Mandela serait la véritable révolution, car c’est le seul terrain sur lequel personne n’attend les Togolais.

Le dialogue entre les hommes politiques a été un échec et tout porte à croire qu’il en sera toujours ainsi, à moins d’un miracle. Il faut donc sortir du « dialogue politique » pour embrasser le « dialogue intertogolais », un dialogue selon la méthode Mandela adaptée au cas togolais. Ce doit être un dialogue entre la majorité des Kabyè, des Ewé, des Tem, des Ouatchi, des 35 autres ethnies d’une part, et les Kabyè, Ewé, Tem, Ouatchi qui font partie des minorités dirigeantes et opposantes. Ce doit être un dialogue entre les civils et les militaires ; entre les Togolais restés au pays et ceux éparpillés à travers le monde. Des dialogues qui ne seront ni organisés, ni facilités par les hommes politiques, trop habitués à la guerre des tranchées.

Et pour revenir à mon allusion de départ sur la guerre des tranchées, l’histoire de la première guerre mondiale nous apprend que ceux qui étaient dans les tranchées se sont affrontés pendant des années jusqu’à la minute où l’armistice est entré en vigueur. La victoire a donc été obtenue ailleurs que dans les tranchées.

Aujourd’hui, le Togo peut sortir de sa situation par une approche autre que celle préférée par les camps politiques : un dialogue entre les Togolais, dépouillé de calculs politiciens. C’est ce moment qu’il convient d’appeler « l’Heure Mandela ».

A. Ben Yaya
New York, le 12 octobre 2019

 


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