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Maintien des prisonniers politiques en détention : « Force à la loi » ou quand le régime est pris au piège de l’impasse judiciaire

« Ne constituent pas une cause d’exonération le fait d’avoir obéi aux ordres d’un supérieur ou d’une autorité publique en commettant les actes de torture et les autres mauvais traitements, ni le fait que ceux-ci aient été justifiés par des circonstances exceptionnelles, notamment un état de guerre, une menace de guerre, l’instabilité politique intérieure ou toute autre situation exceptionnelle ». Article 206, Loi N° 2015-10 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal togolais.

Avant que ne s’achève cette année 2021, une pensée particulière pour les prisonniers politiques dans les prisons du Togo.

La paranoïa du régime militaire togolais semble avoir atteint un pic ces derniers temps, avec les incarcérations tous azimuts des acteurs politiques, des activistes et des garants de la liberté d’expression. Ainsi donc la liste des prisonniers politiques s’allonge au Togo, avec les récentes incarcérations des journalistes Ferdinand Ayité et Joël Egah, de l’activiste de Nubuéké, Fovi Katakou, ainsi que de Jean-Paul Oumolou. Ceux-ci sont venus s’ajouter au responsable de parti politique Djimon Oré, au conseiller de Agbeyomé Kodjo, à l’Irlando-Togolais Aziz Goma et ses coaccusés ainsi qu’aux dizaines de suspects dans l’affaire « tigres révolution ». Tous sont détenus pour des délits d’opinion, des faits purement politiques très vite élevés au rang d’atteinte à la sûreté de l’État afin de justifier la torture, les mauvais traitements, puis l’emprisonnement sans jugement, ad vitam aeternam.

Comme le répètent ceux qui ont côtoyé les détenus, les dossiers sont vides. En dehors de quelques armes blanches qui ont valeur d’objet de défense personnelle, et des amulettes /talismans qui sont des décorations pour leurs détenteurs, les enquêteurs n’ont rien pour établir la culpabilité des prévenus.

Mais alors pourquoi les appels répétés des citoyens, des organisations de défenses de droits humains, des organisation religieuses pour la libération de ces prisonniers sont restées lettre morte jusqu’ici ? La réponse est complexe, mais réside principalement dans l’option du « tout judiciaire » brandie par les acolytes du locataire du palais présidentiel, l’homme pour les beaux yeux duquel les institutions du pays sont empêtrées dans la répression politique nuit et jour.

Imbroglio juridique du « Force à la loi »

Pour toutes les affaires de détention arbitraire de nature politique, les sécurocrates et les jusqu’au-boutistes du régime reprennent en cœur un slogan : «force à la loi », c’est-à-dire que la procédure judiciaire doit être achevée, notamment par un procès, avant qu’on ne puisse parler de libération des personnes embastillées. Le problème, c’est que pour qu’il y ait procès, il faut qu’il y ait au préalable instruction des dossiers.

Et c’est là où se trouve l’embarras du régime : selon les propos de l’un de ceux qui sont au-devant du combat pour la libération de ces prisonniers, pendant l’instruction des dossiers et l’audition des prévenus, ces derniers ont fait état de tortures et de traitements inhumains qui leur ont été infligés pendant leur détention préventive avant leur transfert à la prison civile de Lomé.

Tel que requis par la loi, le magistrat instructeur a donc suspendu son instruction et demandé qu’une enquête soit diligentée par le parquet afin de situer la véracité ainsi que les responsabilités de ces allégations de tortures. Si une telle enquête est menée et que les allégations des prévenus sont confirmées, cela conduirait à coup sûr les tortionnaires en prison, de même que ceux qui savaient mais n’ont rien fait pour empêcher la torture.

En effet selon la Loi N° 2015-10 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal en son Article 199, « Toute personne coupable de torture est punie d’une peine de trente (30) à cinquante (50) ans de réclusion criminelle et d’une amende de vingt-cinq millions (25.000.000) à cent millions (100.000.000) de francs CFA ».

De plus, le code pénal ne reconnait pas la torture infligée par obéissance aux ordres ou par invocation de circonstances exceptionnelles. En effet, l’Article 206 dispose que « Ne constituent pas une cause d’exonération le fait d’avoir obéi aux ordres d’un supérieur ou d’une autorité publique en commettant les actes de torture et les autres mauvais traitements, ni le fait que ceux-ci aient été justifiés par des circonstances exceptionnelles, notamment un état de guerre, une menace de guerre, l’instabilité politique intérieure ou toute autre situation exceptionnelle ».

Donc si le « Force à la loi » scandé par les partisans du régime devrait être appliqué, les auteurs des tortures contre les prisonniers politiques seraient eux aussi arrêtés et jetés en prison. On ne peut pas respecter la loi en gardant des suspects en prison et refuser de respecter la même loi lorsqu’il s’agit de sévir contre les auteurs de tortures contre les mêmes suspects.

Le « Force à la loi » tant scandé par les soutiens de l’intolérance politique est donc devenu une épée à double tranchant pour le régime : on ne peut condamner les prévenus sans tenir un procès, on ne peut tenir un procès sans boucler l’instruction, et on ne peut boucler l’instruction sans qu’une enquête sur les allégations de tortures ait été menée, enquête qui à coup sûr confirmera les faits. C’est à force de s’inscrire dans la logique du tout judiciaire ou du « Force à la loi » que le régime s’est retrouvé bloqué sur la question des prisonniers politiques, car ce n’est pas une question de violation de la loi ; c’est une question de répression politique.

 

A. Ben Yaya

New-York, 25 décembre 2021

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