Résumé des 6 paragraphes (pour ceux qui sont pressés) : la réflexion ci-dessous est la première partie d’une analyse qui lie la confiscation du pouvoir à la peur du lendemain ressentie par la classe dirigeante (Faure, la famille Gnassingbé, l’armée et les membres du RPT / UNIR).
Elle défend la thèse selon laquelle demander à Faure Gnassingbé de ne plus se représenter pour un autre mandat (ou l’empêcher de se représenter si on a les moyens) doit s’accompagner de mesures – disons un pacte républicain – qui le préparent à la fonction d’ancien président (oui c’est aussi une fonction). Pour plus d’équité et d’efficacité, le contenu de ce pacte devrait être proposé par des forces politiques et apolitiques du Togo et de la diaspora.
En octobre 2017, face aux slogans scandés par certains Togolais selon lesquels ‘’la peur a changé de camp’’ j’avais publié un article soutenant que pour résoudre la crise et construire véritablement la nation, il fallait totalement éliminer la peur de part et d’autre du paysage politique ; j’avais invité Faure Gnassingbé à surmonter lui-même la peur afin de mettre fin aux peurs de tous les Togolais. Quelques jours plus tard, les miliciens de son parti étaient déversés dans les rues pour faire monter d’un cran la peur dans les cœurs des Togolais. Même s’il a par après présenté ces miliciens comme des « groupes d’autodéfense », c’était visiblement la manœuvre d’un homme qui avait peur, et comme toujours dans ces cas, le gain a été de courte durée, donc ce ne fut pas du tout une solution: la peur n’a pas disparu. Que Faure reconnaisse cette peur ou pas, pour une sortie de crise, il faut trouver une solution à ce dont Faure Gnassingbé a le plus peur.
Dans un régime autocratique (ou faussement présidentiel) comme celui que le RPT/UNIR a installé au Togo, il n’y a rien de plus vulnérable qu’un ancien président. Malgré les nouvelles dispositions de la constitution lui garantissant une immunité pénale à vie, Faure sait qu’en tant qu’ancien président, sa vulnérabilité est manifeste : une nouvelle classe dirigeante, même celle qu’il aura pris soin d’installer, peut céder aux pressions multiples et défaire ce qu’il a fait de la Constitution, et donc mettre fin à son immunité. L’ancien président Augusto Pinochet du Chili et les autres autocrates et dictateurs de l’Amérique latine des années 70 – 80, ainsi que les récentes déconvenues de l’ancien président angolais sont là pour illustrer la fragilité des immunités auto-conférées par la seule force de la volonté présidentielle.
Pour Faure Gnassingbé, la véritable sécurité de l’après-présidence ne réside pas dans la Constitution dont il a lui-même fait son marchepied depuis un soir de 5 février 2005 ; cette sécurité réside dans un pacte avec l’ensemble des Togolais, avec le peuple togolais, un pacte républicain. Ce n’est pas à Faure de se tailler ses habits d’ancien président car cela le rendra très vulnérable dans l’avenir ; c’est au peuple togolais qu’il appartient de coudre les habits d’ancien président que Faure deviendra d’une manière ou d’une autre. Outre la question de sa sécurité physique, il faut penser à l’occuper, afin qu’il investisse son énergie dans quelque chose de positif pour le Togo, ou l’Afrique ; il faudrait donc trouver une véritable mission que l’on peut lui confier pour le restant de ses jours. Un peu comme tout ancien président, il peut devenir le défenseur d’une cause à laquelle il se passionne.
Toutefois, Faure lui-même ne peut être l’initiateur de ce pacte républicain pour trois raisons : par souci d’équité car ce serait juste un bis repetita de l’article 75 de l’actuelle Constitution ; par souci d’efficacité car il ne réussit généralement pas tout ce qu’il entame, et enfin pour faire sérieux car il ne respecte jamais les engagements qu’il initie. Les « leaders de l’opposition », c’est-à-dire la minorité opposante, ont maintes fois montré qu’ils ne sont à eux seuls capables d’initier ce pacte, et il est inutile d’attendre d’eux un tel exploit. C’est donc des forces vives de la nation, forces politiques et apolitiques, celles le soutenant et celles qui lui sont opposées, celles du Togo et en dehors du Togo, qu’il revient de s’engager, de trouver, de proposer et de défendre la forme et le contenu de ce pacte entre le futur ancien président et son peuple.
C’est un devoir citoyen pour tout Togolais, où qu’il soit, de proposer et de défendre un contenu de ce pacte républicain qui permettrait de sauver Faure Gnassingbé de ses peurs rationnelles, et par la même occasion de mettre fin à la confiscation du pouvoir. On a dépassé le cap des dénonciations, des condamnations des excès de la classe dirigeante ; le défi est celui d’une compétition sur les voies de sortie pour cette classe dirigeante dont Faure est le symbole.
Au regard de la situation actuelle du Togo, Faure Gnassingbé n’a visiblement pas réussi sa présidence après 15 ans de pouvoir ; la raison est qu’il n’y était pas du tout préparé. Mais le pire pour le Togo serait qu’après avoir misérablement échoué en 3 mandats, Faure Gnassingbé échoue aussi en tant qu’ancien président. C’est donc une obligation morale pour chaque Togolais d’œuvrer pour que Faure ne devienne pas un mauvais ancien président. Si l’alternance doit venir de cette approche visant à instituer un pacte pour sauver le soldat Faure de ses peurs (et celles des Togolais), alors ce serait une alternance par tous les Togolais, pour tous les Togolais. La nation n’a rien à perdre dans une telle approche.
(Partie II a suivre…)